Comment analyser les défis et les difficultés liés à la ” nouvelle visibilité des citoyens occidentaux de confession musulmane ” ? Comment appréhender, lorsqu’elles ne sont pas périmées, les délicates notions de racines, d’identité, d’intégration, d’immigration et de sécurité ? Comment penser posément le fait musulman sans agiter ces outils de ” politique émotionnelle ” que sont aujourd’hui le foulard, le niqab ou la burqa ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles Tariq Ramadan, fort d’un engagement de plus de vingt ans contre le ” clash des perceptions “, apporte ici des réponses franches, accessibles et dépassionnées. Dépassant les préjugés et l’incompréhension, il appelle en particulier les musulmans d’Occident à rejeter les réflexes minoritaires et la tentation victimaire, afin d’être des citoyens engagés connaissant leurs responsabilités et leurs droits. A charge, pour les non-musulmans, de les reconnaître comme voisins et citoyens à part entière, afin d’élaborer une vision commune de l’avenir et de favoriser l’avènement d’un vrai pluralisme. Echapper aux ” ghettos ” mentaux, sociaux, culturels et religieux pour accéder à une nouvelle ère de l’islam occidental : telle est l’ ” intime conviction ” de Tariq Ramadan, et la chance qu’il invite chacun à saisir, sans distinction de culture ou de foi. Préambule DE LA VISIBILITÉ Les controverses se suivent et se ressemblent. Durant les cinq dernières années, je me suis retrouvé au centre de polémiques qui, au-delà de ma personne, révèlent la nature des problèmes qui traversent les sociétés occidentales. Force est de constater que le pluralisme politique ne garantit point la gestion raisonnable et sereine du pluralisme culturel et religieux. En France comme aux États-Unis, en Belgique, en Suisse, en Angleterre, en Italie, en Espagne, et récemment aux Pays-Bas, j’ai fait face à des controverses nationales dont le point commun était, assez clairement, la nouvelle visibilité des citoyens occidentaux de confession musulmane. Chaque pays a sa culture, sa sensibilité propre, ses « pointes de friction », et, ce faisant, sa liste spécifiquement ordonnée de contentieux à régler avec l’islam et les musulmans. Le « foulard islamique » vient en tête en France ou en Belgique, les questions liées à l’homosexualité et aux mœurs aux Pays-Bas, les minarets en Suisse, etc. La violence, la femme, la « sharî’a » (charia) sont, entre autres, des thèmes qui reviennent partout et toujours : l’islam fait question. Le point commun de tous ces débats tient à l’installation de générations successives de musulmanes et de musulmans, devenus citoyennes et citoyens de leur pays respectif. Installés, ils sortent de leur isolement géographique, de leurs ghettos sociaux, ou de leur marginalité sociopolitique. Ils sont désormais visibles, comme le relevait, il y a des années déjà, la sociologue Nilüfer Göle. Leur visibilité marque et prouve leur décloisonnement : il ne s’agit pas d’une nouvelle « communauté religieuse ou culturelle » qui s’installe, mais plutôt de l’émancipation d’une ancienne catégorie socioéconomique (doublée d’une appartenance majoritaire à une même origine culturelle et religieuse) qui avait été doublement marginalisée, géographiquement et socialement. Au gré des controverses et des crises, des peurs s’alimentent et des perceptions se façonnent et s’entretiennent. La crainte, la méfiance et le soupçon s’installent et tous les débats sur la culture et la religion se transforment en polémiques nationales, polémiques qui se caractérisent par des crispations et des surdités inquiétantes. Les médias rapportent les faits, les réactions s’amplifient, les politiciens réagissent à (ou parfois instrumentalisent) la controverse, et nous voilà embarqués dans des dynamiques incontrôlables. Des positionnements se dessinent, une sorte de clivage qui traverse tous les partis politiques, de gauche comme de droite, ainsi que les populations des sociétés occidentales. Alors que l’on parlait hier d’un éventuel « clash des civilisations », j’ai défendu très tôt l’idée d’un « clash des perceptions » : un conflit d’images projetées sur soi et sur autrui, mêlant des doutes (quant à soi), des peurs (quant à autrui), des préjugés, ou simplement de l’ignorance (vis-à-vis de soi et d’autrui). On y trouve aussi parfois des positions idéologiques et politiques peu claires. Dans la nébuleuse des propos tenus, face à la visibilité de cet « autre », les débats récurrents sur « l’identité » deviennent dangereux et produisent exactement le contraire de ce que l’on pourrait espérer. À l’heure des crispations, nos identités deviennent négatives et se forment par distinction (crispation ou rejet) de ce que l’on croit être l’identité de « l’autre ». Il s’agit ainsi d’une « identité soustraite », cloisonnée et rigide, alors que nous aurions tant besoin d’accéder au sens d’une identité multiple, ouverte et en constant mouvement. Dans la proximité, la présence d’autrui perturbe et gêne. C’est la raison pour laquelle les crises se sont surtout multipliées autour de phénomènes visibles et spectaculaires : foulards islamiques, niqab (voile cachant le visage), burqa, minarets, auxquels il faut ajouter les expressions culturelles ou religieuses perçues comme « étrangères », c’est-à-dire différentes, inhabituelles ou trop « visibles » car pas encore « normalisées » (voire « neutralisées », au sens de rendues « neutres » dans l’espace public). La violence a bien sûr été un facteur majeur d’amplification, avec le rejet d’assassinats aveugles perpétrés contre des innocents au nom de la religion musulmane. Tous ces phénomènes cumulés expliquent la situation présente, et la « nouvelle visibilité » des musulmans continue de provoquer son lot de crises cycliques. Gardons en tête que cette « nouvelle visibilité » est par nature une situation historique transitoire puisque ce qui est nouveau sera un jour ancien.Biographie de l’auteur Tariq Ramadan est professeur d étude r islamiques contemporaines à l’université d’Oxford et occupe la chaire ” Citoyenneté et Identité ” à l’université de Rotterdam. Attaché à l’Université de Doshita (Kyoto), il est également président du groupe de réflexion et d’action European Muslim Network, à Bruxelles. Engagé dans le renouveau de la pensée musulmane et dans une réflexion sur la place de l’islam en Occident et dans le monde, il est l’auteur, entre autres, de Muhammad, vie du prophète, Islam, la réforme radicale et L’Autre en nous (Presses du Châtelet, 2006, 2008 et 2009).
Mon intime conviction
Vendu par : LagofaComment analyser les défis et les difficultés liés à la ” nouvelle visibilité des citoyens occidentaux de confession musulmane ” ? Comment appréhender, lorsqu’elles ne sont pas périmées, les délicates notions de racines, d’identité, d’intégration, d’immigration et de sécurité ? Comment penser posément le fait musulman sans agiter ces outils de ” politique émotionnelle ” que sont aujourd’hui le foulard, le niqab ou la burqa ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles Tariq Ramadan, fort d’un engagement de plus de vingt ans contre le ” clash des perceptions “, apporte ici des réponses franches, accessibles et dépassionnées. Dépassant les préjugés et l’incompréhension, il appelle en particulier les musulmans d’Occident à rejeter les réflexes minoritaires et la tentation victimaire, afin d’être des citoyens engagés connaissant leurs responsabilités et leurs droits. A charge, pour les non-musulmans, de les reconnaître comme voisins et citoyens à part entière, afin d’élaborer une vision commune de l’avenir et de favoriser l’avènement d’un vrai pluralisme. Echapper aux ” ghettos ” mentaux, sociaux, culturels et religieux pour accéder à une nouvelle ère de l’islam occidental : telle est l’ ” intime conviction ” de Tariq Ramadan, et la chance qu’il invite chacun à saisir, sans distinction de culture ou de foi.
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