Les chemins qui montent

“Mais je sens une colère confuse sortir de tous cotés, descendre du toit, suinter des murs, sourdre d’en bas, emplir la maison comme un brouillard, pénétrer par mes pores, m’étouffer. Mon Dieu, de quoi voudrai-je me meler ? Pourquoi déclarer tout haut : il faut fair ceci, voici les fautifs les bons reconnaissez-les, les mauvais les voilà. Pourquoi ?” (Mouloud FERAOUN) l serait sans doute subjectif de dire que Les chemins qui montent est le roman le plus abouti de Mouloud Feraoun quand bien même il constitue une suite de La terre et le sang. Mais il y a des indices dans ce roman bouleversant qui peuvent confirmer jusqu’à une certaine mesure ce constat qui reste personnel tout de même. Car chaque roman de Mouloud Feraoun a sa propre saveur et sa propre valeur à commencer par son premier texte: Le fils du pauvre. Dans Les chemins qui montent, Mouloud Feraoun confirme son talent spécifique. Celui d’être à la fois un auteur qui sait aller droit au but mais non sans réussir à enclencher un intérêt grandissant pour aller au bout de son texte. Sous les apparences d’une histoire d’amour et de haine, Mouloud Feraoun explore la personnalité de ses personnages, notamment Amar, Mokrane et Dahbia. Les chemins qui montent est d’abord et avant tout un roman psychologique. On n’a qu’à s’attarder sur les pages où l’auteur délivre les tréfonds de l’âme bouleversée de Mokrane dont la haine n’a d’égale que la pauvreté affective dont il a toujours souffert. La jalousie dont il fait montre n’est en fait que le résultat d’un complexe d’infériorité qu’il n’a pas cessé de traîner depuis son enfance. Un déficit affectif qui crée en lui ce désir insatiable de faire du mal croyant ainsi pouvoir améliorer sa condition intérieure. Ce besoin pressant d’avoir des ennemis finira par le ruiner. Il fera de Amar sa cible principale et sa préoccupation constante. Ce faisant, il détruira, non seulement sa vie, mais aussi celle d’Amar et celle de l’adolescente Dahbia qui n’a que quinze ans. Amar ou Amirouche, comme on aime l’appeler affectueusement, traîne aussi un autre complexe, celui d’être, entre autres, le fils de Madame. Il en souffrira intérieurement quand bien même il fera tout pour donner l’air d’assumer toutes les facettes de sa personnalité et de son identité. Mais Amirouche ne surpassera jamais cet aléa. C’est pourquoi, il tombera dans le jeu malsain de Mokrane. Amirouche ne s’élèvera pas. Il aurait échappé au pire s’il l’avait fait. Mais la société kabyle était si imprégnée d’orgueil et de vanité que le pardon au sens profond et sincère du terme n’avait pas droit de cité. Mokrane, aussi bien qu’Amar et la candide Dahbia en paieront les frais. Il aurait suffi de pardonner et de tourner la page pour que la vie reprenne ses droits. Mais les tabous, le regard des autres et la fierté démesurée et mal placée étaient des barrières infranchissables. Les chemins qui montent a aussi sa facette existentielle. L’auteur, par moment, se pose des questions sur la vie et sa fugacité. La scène où Amar s’adresse aux ossements de son grand-père est émouvante. Le lecteur ne peut pas ne pas marquer une halte. Ce que dit là Mouloud Feraoun, est une vérité que d’aucuns oublient quand la vie nous prend de plein fouet dans sa ferveur. Les chemins qui montent est un roman pessimiste mais réaliste. Même si la mort finit par happer presque tout le monde, elle ne peut faire oublier au lecteur les élans d’amour chaste que Amar et Dahbia ont partagé tout au long de la première partie.